À la recherche de la déconnexion parfaite
par Ploum le 2025-02-11
Une rétrospective de ma quête de concentration
Une première déconnexion
À la fin de l’année 2018, épuisé par la promotion de la compagne Ulule de mon livre « Les aventures d’Aristide, le lapin cosmonaute » et prenant conscience de mon addiction aux réseaux sociaux, je décide de me « déconnecter ».
Un bien grand mot pour m’interdire pendant 3 mois l’utilisation des réseaux sociaux et des sites d’actualité.
Le premier effet va se faire sentir très vite avec la désinstallation de l’app que j’utilise le plus à l’époque : Pocket.
L’expérience est avant tout une prise de conscience. Je découvre que, dès que je m’ennuie, j’ouvre machinalement un navigateur web sans même y réfléchir. C’est littéralement un réflexe.
Je commence à percevoir la différence entre l’information et le « bruit ». L’hyperconnexion est, comme le tabac, une assuétude et une pollution. Une notion qui deviendra essentielle dans ma réflexion.
Si je tente de subir moins de bruit, mon épouse me fait remarquer que je tente toujours d’en générer en postant sur des réseaux que je ne lis plus. Je suis incohérent.
Comme souvent dans ce genre d’expérience, on en sort sans aucune envie de se « reconnecter ». Mais je vais, bien entendu, très vite reprendre mes anciennes habitudes.
Le problème de l’hyperconnexion est désormais clair dans ma tête. Je suis addict et cette addiction m’est néfaste à tous les points de vue.
La période technosolutionniste
Face à la réalisation de l’ampleur du problème, mon premier réflexe est de trouver une solution technique, technologique. Beaucoup de personnes sont dans le même cas et, si cette étape est loin de suffire, elle est indispensable : faire du tri dans les outils numériques que nous utilisons. Je me rends compte que l’univers Apple, que je fréquente à l’époque, ayant reçu un MacBook de mon employeur, est à la fois contraire à mes valeurs et complètement incompatible avec une forme de sobriété numérique, car poussant à la consommation. Cette dichotomie entre ma philosophie et mon vécu entraine une tension que je tente d’évacuer par la surconnexion. Il est temps pour moi de revenir entièrement sous Linux.
J’achète également un téléphone qui est tellement merdique et bugué que je n’ai jamais envie de l’utiliser (non, ne l’achetez pas).
Concrètement, cette première déconnexion a également été l’opportunité de terminer mon feuilleton « Printeurs » ainsi que d’écrire quelques nouvelles. Celui-ci intéresse un éditeur et je publie mon premier roman en 2020.
Une autre action concrète que j’entreprends est de supprimer au maximum de comptes en ligne. Je ne le sais pas encore, mais je vais en découvrir et en supprimer près de 500 et cela va me prendre près de trois ans. Pour la plupart, j’ai oublié qu’ils existent, mais pour certains, l’étape est significative.
En parallèle, je découvre le protocole minimaliste Gemini. Suite à l’utilisation de ce protocole, une idée commence à me trotter dans la tête : travailler complètement déconnecté. J’ai en effet découvert que bloquer certains sites n’est pas suffisant : je trouve automatiquement des alternatives sur lesquelles procrastiner, alternatives qui sont même parfois moins intéressantes. J’ai donc envie d’explorer une déconnexion totale. Je commence à rédiger mon journal personnel à la machine à écrire.
- Gemini, le protocole du slow web (ploum.net)
- The Offline-First Quest (ploum.net)
- Offline-First, Typewriters, Emails and Gemini (ploum.net)
- Looking for offline-first tools (ploum.net)
Seconde déconnexion : une tentative d’année déconnectée
Le 1er janvier 2022, trois ans après la fin de ma première déconnexion, je me lance dans une tentative d’année complètement déconnectée. L’idée est de n’utiliser mon ordinateur que déconnecté dans mon bureau, de le synchroniser une fois par jour. Le tout est rendu possible par un logiciel que j’ai développé dans les derniers mois de 2021 : Offpunk.
Évidemment, la connexion est nécessaire pour certaines actions que je me propose de chronométrer et d’enregistrer. J’écris, en direct, le compte-rendu de cette déconnexion et, contre toute attente, ces écrits semblent passionner les lecteurs.
- 1er janvier 2022, quelques minutes après minuit (ploum.net)
- 3 janvier 2022, qu’est-ce qu’une déconnexion ? (ploum.net)
- Chapitre 3 : Le manque (ploum.net)
- Chapitre 4 : les messageries instantanées (ploum.net)
- Chapitre 5 : le plaisir coupable de l’exploration (ploum.net)
- Chapitre 6 : la machine à cliquer se rebelle contre le superorganisme (ploum.net)
- Chapitre 7 : l’hystérie médiatique (ploum.net)
- Chapitre 8 : l’artiste déconnecté (ploum.net)
Mieux préparée et beaucoup plus ambitieuse (trop ?), cette déconnexion est finalement un échec après moins de 6 mois.
La leçon est dure : il n’est quasiment pas possible de se déconnecter de manière structurelle dans la société actuelle. Nous sommes tout le temps sollicités pour accomplir des actions en ligne, actions qui nécessitent du temps, mais pas toujours de la concentration. Tout est désormais optimisé pour que nous soyons en ligne.
Ma déconnexion est un échec. Le livre de cette déconnexion est inachevé. Un autre manuscrit sur lequel je travaille durant cette déconnexion est dans un état inutilisable. Cependant, j’ai profité de ce temps pour écrire quelques nouvelles et finaliser mon recueil « Stagiaire au spatioport Omega 3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur ».
Conséquence directe de cette déconnexion, mon compte Whatsapp disparait. Mon compte Twitter suit bientôt également.
- Le suicide de mon compte WhatsApp (ploum.net)
- Chapitre 10 : la suppression des comptes en ligne (ploum.net)
- Pourquoi j’ai supprimé mon compte Twitter (et pourquoi vous pouvez probablement en faire autant sans hésiter) (ploum.net)
J’ai également pris conscience que mon blog Wordpress n’est plus du tout en phase avec ma philosophie. En parallèle de mon travail sur Offpunk, je réécris complètement mon blog pour en faire un outil « offline ».
Le second retour à la normalité
Début 2023, je m’isole pour commencer l’écriture de Bikepunk qui paraitra en 2024. J’alterne entre les périodes de déconnexion totale et des périodes d’hyperconnexion.
Le seul réseau social où j’ai gardé un compte, Mastodon, commence à attirer l’attention. J’y suis très présent et, philosophiquement, je ne peux que soutenir et encourager toutes les personnes cherchant à quitter X et Meta. Je retombe dans l’hyperconnexion. Une hyperconnexion éthique, mais une hyperconnexion tout de même.
Pendant deux ans, j’utilise l’extension Firefox LeechBlock qui permet de n’autoriser qu’un temps limité par jour sur certains sites web. Cela fonctionne pas trop mal pendant un temps jusqu’au moment où j’acquiers le réflexe de désactiver le plugin sans même y penser.
Comme tous les trois ans, il est temps pour moi de lancer un nouveau cycle et de m’interroger sur mes usages.
Un de mes apprentissages principaux est que toute modification de mon comportement mental doit s’accompagner chez moi par une modification physique. Mon esprit suit les réflexes de mon corps. Je tape encore parfois machinalement dans la barre d’adresse Firefox les premières lettres de sites procrastinatoires sur lesquels je n’ai plus été depuis dix ans !
Le second apprentissage est que la radicalité implique une rechute plus forte. La connexion est nécessaire tous les jours, de manière imprévisible. Je ne souhaite pas m’isoler, mais concevoir une manière de fonctionner durable. Créer de nouveaux réflexes.
Une troisième déconnexion
Pour ma « déconnexion 2025 », j’ai donc pris une grande décision : j’ai acheté un fauteuil pour remplacer ma chaise de bureau. Pendant toutes mes études et mes premières années professionnelles, je n’avais que des chaises de récupération. Au printemps 2008, disposant d’un salaire stable et d’un appartement, j’achète une chaise de bureau neuve : le premier prix de chez Ikea. Cette chaise, rafistolée avec des coussins défoncés dont mes beaux-parents ne voulaient plus, était encore celle que j’utilisais jusqu’il y a quelques jours. Ce nouveau fauteuil est donc un très grand changement pour moi.
Et je me suis promis de ne l’utiliser qu’en étant déconnecté.
Pour ce faire, je désactive le wifi dans le Bios de mon ordinateur. J’ai également organisé un « bureau debout » dans un coin de la pièce, bureau debout où arrive un câble RJ-45. Si je veux me connecter, je dois donc physiquement me lever et brancher un câble. Tout ce que je dois faire en ligne s’effectue désormais en étant debout. Lorsque je suis assis (ou vautré, pour être plus exact), je suis déconnecté.
J’ai également pris d’autres petites mesures. En premier lieu, mes todos ne sont plus stockés sur mon ordinateur, mais sur des fiches sur un tableau de liège. Un comble pour qui se rappelle que j’ai passé plusieurs années à développer le logiciel « Getting Things GNOME ».
Je revois aussi la gestion de mon email. J’adore recevoir des emails et de mes lecteurs et j’ai beaucoup de mal à ne pas y répondre. Puis à répondre à la réponse de ma réponse. Avec le succès de Bikepunk, mon courrier s’est étoffé et je me retrouve parfois à la fin de la journée en réalisant que j’ai… « répondu à mes emails ». Des discussions certes enrichissantes, mais chronophages. Dans bien des cas, je répète dans plusieurs mails ce qui pourrait être un billet de blog. Considérez que j’ai lu votre mail, mais que ma réponse alimentera mes prochains billets de blogs. Certains billets futurs traiteront de thèmes que je n’aborde pas d’habitude, mais pour lesquels je reçois énormément de questions.
Sur Mastodon, que je ne consulte plus que debout, j’ai pris la décision de mettre tous les comptes que je suis dans une liste, liste que j’ai configurée pour qu’elle ne s’affiche pas dans ma timeline. Quand je consulte Mastodon, je ne vois donc que mes posts à moi et je dois accomplir une action en plus si je veux voir ce qui se dit (ce que je ne fais plus tous les jours). Comme avant, les notifications sont régulièrement « vidées ».
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À la recherche de l’ennui.
Déconnexion est un bien grand mot pour simplement dire que je ne serai plus connecté 100% du temps. Mais telle est l’époque où nous vivons. Cal Newport parle de l’incroyable productivité de l’écrivain Brandon Sanderson qui a créé une entreprise de 70 personnes uniquement dédiée à une seule activité : le laisser écrire le plus possible !
Si l’exemple est extrême, Cal s’étonne de ce qu’on ne voit pas plus de structures qui cherchent à favoriser la concentration et la créativité. Dans un âge où l’hyperdistraction permanente est la norme, il est nécessaire de se battre et de développer les outils pour se concentrer. Et s’ennuyer. Surtout s’ennuyer. Car pour réfléchir et créer, l’ennui est primordial.
D’ailleurs, si je ne m’étais pas ennuyé, je n’aurais jamais écrit ce billet ! Nous dresserons le bilan dans 3 ans pour ma quatrième déconnexion…
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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