Lectures : de la bouffitude du Web et de l’absurde quête d’une norme sociale
par Ploum le 2024-03-29
La quête absurde de norme sociale
Alexander Plaum appelle les diffuseurs européens à rejoindre Mastodon.
Une fois de plus, l’article commence par énoncer ce qu’est la "fédération". Je trouve ça déprimant, car, fondamentalement, c’est le fonctionnement même d’Internet et de l’email. Le fait que l’on pense nécessaire de l’expliciter à chaque fois que l’on parle de Mastodon est effrayant : cela prouve que tous ceux qui viennent de comprendre comment fonctionne Mastodon n’avaient, en fait, jamais compris comment fonctionnait Internet et pensent que c’est un truc nouveau. Les plateformes centralisées nous ont infligé un dommage intellectuel peut⁻être irréparable en nous privant de tout modèle mental.
La conclusion est également déprimante : il ne comprend pas pourquoi personne ne s’intéresse à Mastodon alors que tous ceux qui y vont disent que ça fonctionne, qu’ils ont plein d’interactions.
Ce qui me fascine, c’est le concept de "normalité". Je constate que beaucoup de personnes autour de moi refusent d’utiliser Signal, Mastodon ou même autre chose que Google, car elles veulent activement être "normales". Elles refusent de dévier de ce qu’elles imaginent être "la norme".
Or, la norme est par définition la moyenne des comportements avec lesquels vous interagissez. Elle est autocentrée. La norme est donc différente pour chaque individu. Il n’existe aucune normalisation sociale universelle. Les personnes qui cherchent à se normaliser se basent donc sur une norme purement imaginaire. Il en va de même des rebelles réactionnaires qui rejettent par principe ce qu’ils pensent être la norme (alors que ce rejet est, parfois, la norme elle-même).
Une fois qu’on a compris l’absurdité du concept de norme sociale, on peut commencer à s’affranchir des influences exogènes et se poser des questions personnelles : qu’est-ce qui est juste pour moi ? Qu’est-ce qui respecte mes valeurs humaines ?
C’est peut-être pour cela que vous voyez dans ces billets autant de liens vers des articles publiés sur Gemini. Par essence, les personnes qui postent sur Gemini ne cherchent pas à se normaliser. Elles ne cherchent pas d’audience (vu qu’elle est à peu près inexistante sur Gemini). Ce manque d’audience libère également de la pression sociale : votre employeur ou votre famille a peu de chances de trouver vos écrits sur Gemini et encore moins de les associer à votre identité si vous utilisez un pseudonyme. Ce n’est certainement pas un hasard si le fondateur de Gemini, Solderpunk, est lui-même pseudoanonyme. La dynamique de ce réseau fait que ce que je lis sur Gemini est essentiellement libre, spontané, naïf.
Bref, humain.
Rappelez-vous cela la prochaine fois que l’on vous obligera à mettre votre nom réel sur une plateforme en justifiant que cela rend les débats plus civils. En fait, l’expérience prouve que c’est exactement le contraire : avec notre vrai nom, nous sommes forcés d’obéir à une norme imaginaire sans possibilité d’abandonner nos anciennes idées périmées.
Vous êtes sous surveillance
Piqûre de rappel régulière : votre nom véritable permet d’accentuer le ciblage dont vous êtes l’objet. Car oui, vous êtes sous surveillance permanente et, oui, ça peut avoir un impact. Une auteurice de romance utilisant Google Drive pour écrire ses textes a vu son compte Google suspendu pour avoir écrit des textes sexuellement explicites. Dans son Google Drive.
Je l’ai déjà dit et je le redis : vos comptes peuvent être suspendus sans aucun avertissement, sans aucun recours et sans même une raison valable. C’est arrivé à un de mes amis chercheur à l’université qui a tout perdu, même l’accès à ses apps et n’a pu récupérer son compte que parce qu’il connaissait quelqu’un travaillant chez Google. Il n’a jamais eu d’explication.
Et même si vos comptes ne sont pas suspendus, chez les GAFAM, leur contenu est en permanence analysé par des algorithmes qui tentent de vous classifier comme pédophile, terroriste, pirate de contenu voire, linuxien ou écologiste.
Et c’est bien pire que ce que vous pensez. Dernier exemple en date : Facebook partage avec Netflix et Spotify les messages privés des ses utilisateurs pour les aider à mieux cerner les tendances.
La pourriture volontaire du marketing
Sur le Web traditionnel, « normal », j’entends régulièrement des personnes pester contre les lois européennes qui nous pourrissent la vie avec les popups nous forçant à accepter les cookies. Les commerçants se plaignent également de devoir complexifier leur site web.
Rappelons une chose : le RGPD n’exige en aucun cas de vous ennuyer avec les cookies. En fait, l’immense majorité des bandeaux qui vous embêtent sont illégaux selon le RGPD.
Sur Ploum.net, vous n’avez rien à accepter et pourtant je respecte le RGPD. Tout simplement parce que je n’utilise pas ni ne revends pas vos données. Et même si je le faisais, je pourrais simplement utiliser la fonctionnalité « Do Not Track » de votre navigateur.
Les bandeaux d’acceptation de cookies que vous voyez ont tous été conçus par une poignée d’entreprises qui ont, volontairement et consciemment, décidé de vous rendre la vie la plus merdique possible afin de vous faire croire que le RGPD était une mauvaise idée. C’est une manipulation mensongère consciente, assumée et parfaitement illégale.
Vous sous-estimez à quel point les gens qui travaillent dans le marketing sont de dangereux psychopathes connards et menteurs qui n’ont qu’un seul objectif : vous pourrir la vie pour une poignée d’euros. En fait, c’est la définition même de leur métier.
Simplifier son usage du téléphone
Un autre exemple de la merdification que nous acceptons dans nos vies : Corscada a enlevé Facebook Messenger et Instagram de son téléphone. Son autonomie est immédiatement passée de 5-8h à 24h. L’utilisation de ces plateformes à un coût énorme. Non seulement sur votre attention, sur votre temps de vie disponible, mais également sur votre mode de vie : lorsqu’on est addict à son téléphone et qu’on doit le charger toutes les 5h, on ne vit pas la même vie que si on le charge tous les deux jours. Sans compter qu’on sera plus susceptible d’acheter un nouveau téléphone lorsque l’ancien sera « mort » (bah oui, la batterie ne tient plus que 3-4h, il me faut un nouveau).
Booteille a poussé l’expérimentation encore plus loin en passant 3 ans sans téléphone. Mais, pour être honnête, il n’avait ni femme ni enfant. C’est d’ailleurs à cause de ses sentiments pour une fille qui ne répondait pas à ses emails qu’il a fini par craquer et en reprendre un.
La « bouffitude » du web
L’impact du web moderne n’est pas tellement sur la taille des sites web, qui n’a finalement été « que » multipliée par 1000. Mais surtout sur la puissance des processeurs nécessaires à faire le rendu. Dans cet exemple, Dan Luu montre qu’il n’est pas capable d’utiliser un forum Discourse (pourtant pas le site le plus lourd) avec un processeur qui n’est « que » 100.000x plus rapide que son vieux 286. Vieux 286 qui lui permettait exactement le même usage que Discourse à travers les BBS sur une connexion de 1200 bauds.
Il faut donc des appareils un million de fois plus puissant que ceux d’il y a 40 ans pour accomplir… la même chose ! Nous sommes en train de recréer artificiellement une fracture numérique en excluant celleux qui n’ont pas la possibilité ou la volonté de mettre à jour leurs appareils tous les 4-5 ans. Et cela, sans raison… Dan Luu note que la plupart des appareils qui n’arrivent pas à afficher des pages web « modernes » sont capables de faire tourner des jeux 3D comme PUBG à 40FPS. Des jeux inimaginables il y a 30 ans peuvent tourner sur le processeur. Mais des pages web pas tellement différentes de celles d’il y a 30 ans ne passent plus.
Le reste de l’article plonge dans les détails et explore les délices des arguments des développeurs qui considèrent qu’on tend vers une puissance CPU infinie et qu’il faut donc optimiser pour la bande passante, pas le CPU. Ce que je trouve fascinant avec cette approche, c’est de considérer que puisqu’il existe des CPUs puissants, il faut absolument les faire travailler ! Et tout le monde peut se les payer. Du moins, les gens qui comptent. Voilà…
Offline Fur Sock
Vous savez que je pratique la démarche exactement opposée en développant un navigateur web minimaliste en ligne de commande et fonctionnant déconnecté.
À propos d’offline, Solderpunk, le créateur du protocole Gemini, annonce la création d’un challenge consistant à développer en un mois une petite application offline permettant de se passer d’une interaction en ligne.
Quand on y pense, c’est particulièrement absurde que, pour calculer une température en Farenheit ou la valeur en euro d’un prix en dollar, nous chargions une page web bourrée de traqueurs, que nous lancions des centaines de requêtes qui seront interprétées par des algorithmes "intelligents" hyper consommateurs de ressource dans d’immenses data centers. Tout ça pour faire une satanée multiplication que n’importe quel ingénieur de plus de soixante ans fait de manière bien plus rapide avec sa règle à calcul !
Du coup, grâce à Solderpunk, j’ai découvert l’application en ligne de commande "units" qui est parfaite et hyper intuitive à utiliser (un petit "sudo units_cur" est cependant nécessaire pour mettre à jour les taux de change).
Être moins en ligne est également incroyablement positif pour la programmation. Je pense que lorsqu’on cherche "comment résoudre un problème" et qu’on trouve plein de solutions à tester, on n’apprend rien. On ne fait que répéter aveuglément. Le problème de base en informatique est de ne pas avoir un modèle intellectuel sous-jacent. Or, ce modèle se crée et s’affine par l’apprentissage. En appliquant aveuglément des solutions, nous n’apprenons pas. Nous n’améliorons pas notre modèle mental.
En étant déconnecté, je me suis surpris à lire les pages de manuel des applications que j’utilise, forçant la construction d’un modèle mental. Dans certains cas, j’ai même été jusqu’à lire le code source afin de comprendre exactement ce que je devais faire. Cette étape a été une révélation : soudainement, au lieu d’appliquer des paramètres aléatoires en tentant de "deviner" ou retenir par cœur, je me suis surpris à comprendre exactement ce que le code faisait et donc comment il fallait utiliser l’application, gagnant du temps sur le moyen et le long terme.
Mais il est tellement difficile d’accepter de sacrifier un peu de temps sur le court terme. Il est tellement rare dans notre société de ne pas chercher une solution "rapide", mais, au contraire, d’investir sur le long terme dans la compréhension et la maitrise des outils que nous utilisons.
D’ailleurs, ce n’est peut-être pas un problème confiné à l’informatique…
À demain !
Bon, ce n’est pas tout, mais on se voit samedi à Trolls & Légendes sur le stand PVH ?
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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